Pour les peuples indiens ( et particuliérement pour ceux de l'Amérique aride) , le monde où ils vivaient était leur unique demeure , ils n'avaient nulle part où se retirer. C'est pourquoi leur économie ne pouvait être qu'une économie de survie : respect de la terre et de toutes ses ressources.
L'évidence de cette nécessité procurait aux conquérants un double avantage : en exploitant jusqu'aux limites les richesses du Nouveau Monde, ils étaient sûrs de pouvoir soumettre les plus rebelles par la faim et par la pauvreté. En les exilant du pouvoir sur leurs propres terres , ils leur ôtaient toute responsabilité sur leur monde, et jusqu'au sentiment d'appartenir à l'espéce humaine. L'Amérique devenait , grâce à cette dialectique, ce que les conquérants avaient rêvé, un régne primitif et barbare.
Les Nations du Nord et du Nord-Ouest, les " barbares ", les " vagabonds " , sont celles qui ont vécu de la façon la plus dramatique l'enfermement dans la violence. Nomades vivant en grande partie de la chasse sur l'immense territoire qui va des déserts du Sonora et du Durango jusqu'au Canada, et comprenant les hauts plateaux et les savanes du centre du continent , Apaches, Utah, Comanches, Arapahoes, Pawnees, Sioux, Wichita, Cheyennes, Crow, Dakota, Mandans, Osages, tous ceux qu'on a appelés les Peuples du Bison vivaient dans un équilibre fragile, qui reposait en grande partie sur la chasse.
Le bison était la principale source de survie: la chair et le sang nourissaient l'Indien, les cornes et les sabots lui servaient d'arme, d'outils, de colle , le cuir lui servait pour les tentes, pour les habits, les tendons pour les liens, l'estomac des veaux lui donnait le lait caillé, le fiel était une teinture...
Le massacre du bison, perpétré par les colons anglo-saxons , fut l'un des plus grands désastres écologiques de tous les temps. Les plaines autrefois vivantes, peuplées de nomades , devinrent ce que T.R Fehrenbach appelle les " plaines cimetierres" où l'Indien errait sans but et sans ressources, pris dans le cauchemar d'un monde sans vie.
La plainte adressée au gouverneur du Texas en 1852 par les chefs comanches Katum'se et Sanaco résonne avec un accent de vérité qui ne toucha que peu d'Européens:
< Sur ce vaste pays que pendant des siécles nos ancêtres ont parcouru sans que personne ne leur en refuse le droit, libres et heureux, que nous reste-t-il ? Le gibier , notre principale ressource, est tué et chassé au loin, et l'on nous force à aller dans les lieux les plus stériles et les plus arides, où nous mourrons de faim . Nous ne voyons autour de nous que destruction , et nous attendons notre fin avec indifférence et résignation. Donnez-nous seulement une terre que nous pourrons dire nôtre, afin que nous puissions y enterrer notre peuple en paix. >
Les unes aprés les autres, les derniéres nations amérindiennes libres de l'Ouest et du Nord du continent américain succombérent , moins à cause de leur infériorité militaire que par suite de la destruction progressive de leur milieu et de la désintégration sociale qui s'ensuivit. Comanches, Arapahoes, Utah, Sioux, Apaches , les Indiens connurent le même sort , la même servitude et le même désespoir qu'avaient connus, au commencement de la conquête, les peuples agriculteurs de la Méso-Amérique, Aztéques, Mayas, Purépécha, Otomi.
Leur désespoir provenait moins d'une défaite politique - car, vivant séparées, les nations amérindiennes eurent rarement conscience d'une guerre généralisée contre leur race - que du sentiment profond, mystique, d'une rupture de l'équilibre de l'univers et d'une violation de la terre sacrée.
Puisqu'on (a) célébre aujourd'hui le triste anniversaire de la mort d'un des plus grands chefs visionnaires de l'Amérique indienne, Tatanka Yotanka ( Taureau Assis ) , c'est un hommage à tous ceux qui ont défendu au prix de leur vie la pensée et la philosophie amérindiennes qu'il faut rendre , à Juh, à Cochise, à Chef Joseph.
Au chef Seattle, dont le discours " Peut-être sommes- nous tous fréres? " devrait être ensigné dans toutes les écoles, comme l'un des plus beaux et des plus forts messages laissés à l'humanité...
(..... à demain pour la suite )