On peut dire que,pour les Yana, le commencement de la fin date de 1844, année où le gouvernement mexicain accorda une grande quantité de concessions de terrain dans la vllée du Sacramento, à la limite du territoire yana.
En 1850, une dizaine d'années enciron avant la naissance d'ISHI, les Yana occupaient cinq à six mille kilométres carrés de terrain qui étaient reconnus par leurs voisins indiens comme leur appartenant en propre. Cette petite nation de deux ou trois mille âmes distinguait en son sein quatre divisions linguistiques, territoriales et culturelles. La vie, immuable, était ce qu'elle avait toujours été, réglée par les saisons, les travaux les travaux et les rites. Vingt-deux ans plus tard, en 1872, alors qu'ISHI avait dix ans, peut-être douze, il n'y avait plus un seul Yana du sud. Des Yana du centre et du nord, seuls quelque vingt ou trente individus isolés restaient en vie.
Quant aux YAHI, le quatriéme groupe, on les tenait pour complétement exterminés, ce qui était vrai, exception faite d'une poignée de survivants parmi lesquels se trouvait ISHI.
Nous sommes nombreux en Californie à compter parmi nos ancêtres un grand-parent ou un arriére-grand-parent venu de l'est, soit en 1849 avec la Ruée vers l'Or, soit plus tard, avec les vagues d'immigration qui ont suivi, par familles entiéres cette fois, encombrées de chariots, de chevaux et de bétail, hommes et femmes ayant tout abandonné, à la recherche d'un pays où s'installer et fonder un foyer. On nous a appris à être fiers du courage et de l'esprit d'entreprise de ces ancêtres , comme de leur acharnement à préparer de leurs mains une vie meilleure pour leurs enfants. Il n'est pas nécessaire, pas plus qu'il ne serait convenable, de revenir sur l'admiration et le respect affectueux que nous portons à ces pionniers.
Efforçons-nous plutôt de comprendre que les meilleurs et les plus doux d'entre eux ne soupçonnaient même pas qu'on pût remettre en question leur droit à s'approprier des terres appartenant à un Indien, et que cet état de fait était sanctionné par l'expression légale :
" conquête légitime" .
Cette invasion, malgré l'approbation trés large et effective du gouvernement et de l'opinion, doit être vue comme une grande invasion barbare classique, c'est-à-dire une intrusion par la force tendant à remplacer des envahisseurs une population établie.
Les exemples abondent de telles invasions dans l'histoire , et pas seulement dans l'histoire de l'humanité, mais dans cele de la vie sous toutes ces formes. Elles sont un aspect du besoin biologique qu'a chaque végétal et chaque animal de se faire de la place pour lui et sa descendance, et peuvent à ce titre être comprises comme des actes nécessaires à la lutte pour la survie, au sens darwinien.
Instinctives , primitives, elles sont par définition inhumaines et cruelles.
Des vingt-deux années qui vont de 1850 à 1872, on pourrait dire que les dix premiéres ont été des années de préparation. Entre la maladie, les meurtres et la limitation de leur liberté, les Yana devinrent en dix ans un peuple aux abois. De leur côté, les colons, dont l'idée toute faite qu'ils avaient des Yana était aussi fausse que celle que les Yana avaient d'eux, exaspérés par les vols de bétail et la destruction de leurs biens, craignaient pour leur vie. Le long de Deer Creek et de Mill Creek, comme partout ailleurs en Californie, les années de guerre de Sécession(1861-1865) furent celles où l'hostilité entre Indiens et Blancs atteignit son paroxysme, se traduisant de plus en plus souvent, aprés une décennie de tension montante, par la lutte et la violence déclarées.
Avec le recul, il semble que l'issue du combat n'ait jamais dû faire de doute et qu'il était clair que les Indiens étaient condamnés.
( à suivre)
de ISHI de Theodora Kroeber