<< La nature a toujours été une amie >>
Hubert REEVES
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L'astrophysicien franco-canadien a mis sa notoriété au service de la protection de la faune sauvage. Il nous alerte à l'approche de la Convention internationale sur la Diversité Biologique, qui se tiendra du 18 au 29 octobre à Nagoya, au Japon .
(propos recueillis par Jean-Christophe Martineau , sur Notre Temps)
2010 a été déclarée Année mondiale de la diversité biologique par l'ONU. Que va-t-il se jouer à Nagoya?
HR:Il s'agit d'une conférence mondiale qui va décider des politiques à venir en matiére de protection de la biodiversité. En 2002, à Johannesburg, lors du Sommet sur le développement durable, un objectif avait été fixé:
l'arrêt de l'érosion de la biodiversité en 2010.
Mais c'est un échec! Le nombre d'espéces animales et de variétés de plantes qui disparaissent, s'accroît. Les milieux naturels sont malmenés. Il faut donc que la conférence de Nagoya débouche sur du concret et des décisions fermes, y compris des financements de programmes. Ce qui bloque sur ces questions de biodiversité, c'est le manque de volonté politique et de moyens. Nagoya est donc une rencontre cruciale!
Êtes-vous optimiste?
HR:A l'inverse du changement climatique, qui provoque es sécheresses ou des tempêtes violentes, la destruction de la biodiversité ,c'est pas un phénoméne spectaculaire car il est moins visible, donc moins concret. L'opinion et les décideurs ont du mal à se mobiliser pour cette cause: difficile de sensibiliser les foules en expliquant que les vers de terre disparaissent à grande vitesse ! Et pourtant, c'est tout aussi grave, voire plus grave - car la fertilité des terres dépend d'eux- que la disparition du tigre de Sibérie ou de l'ours polaire. J'observe cependant une prise de conscience progressive depuis trois ou quatre ans. Les choses ne vont pas devenir idéales du jour au lendemain mais chaque pas compte.
Vous appelez à une nouvelle alliance entre l'humanité et la biodiversité.
Qu'entendez-vous par là?
HR: nous faisons partie de la biodiversité terrestre et nous dépendons d'elle. Quand des espéces disparaissent par notre action, c'est comme si nous vidions le coffre aux trésors. S'il faut remplacer par des actions humaines ce que la nature accomplit d'elle-même,gratuitement, c'est financiérement insupportable.
Le cas le plus fréquemment cité est celui de la pollinisation.Quand les insectes pollinisateurs ne sont plus au rendez-vous que leur donnent les fleurs parce qu'ils ont disparu, il faut des humains pour les remplacer, fleur aprés fleur, sinon, adieu les cerises et tous les fruits ! Nos liens avec la nature sont toujours aussi étroits car nous avons toujours autant besoin d'elle pour respirer, boire, manger, nous ressourcer et rêver.
Elle pourrait se passer de nous... Mais nous ne pouvons nous passer d'elle.
Comment, vous l'astrophysicien, êtes-vous devenu militant de la défense de la faune sauvage?
HR: Je ne suis pas passé d'un domaine à l'autre, je m'intéresse aux deux! L'astronomie nous apprend comment nous en sommes venus à vivre sur Terre. L'écologie nous indique comment y rester dans de bonnes conditions. Quand j'étais étudiant, dans les années 1950, on ne parlait ni d'environnement , ni d'écologie. Les problémes sont apparus au cours des années 1970, 1980,1990 quand on a vu augmenter la quantité de gaz carbonique dans l'atmosphére et la température. J'ai pris petit à petit conscience des enjeux. A la mort de Théodore Monod, on m'a proposé de présider le mouvement de défense de la faune sauvage qu'il avait fondé , la ligue ROC , et cela m'a paru être une façon utile de m'impliquer.
Vous souvenez-vous de vos premiers émerveillements face à la nature?
HR: Oui. Mes parents vénéraient la nature. Nous vivions à la campagne, au Québec, au bord du Lac Saint-Louis. Notre maison s'appelait la Villa Espérance:
il y avait un grand arbre, un peuplier, et en dessous un vieux banc de bois sur lequel on s'asseyait pour regarder les fleurs, les oiseaux, les couchers de soleil, l'arrivée des hirondelles. Je me suis toujours senti en harmonie avec la nature, en résonance avec elle. Elle a toujours été une amie. En fait, je passais beaucoup de temps seul. J'allais dans les marécages en canoë. Je me retrouvais avec les grenouilles, les nénuphars. J'aimais cette proximité avec la vie sauvage: suivre les rats musqués, observer les martins-pêcheurs...
Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir une enfance proche de la nature telle que la vôtre...
HR: C'est vrai mais j'en profite pour inciter vos lecteurs ( Notre Temps) à recréer la campagne en ville. Bien sûr, nous ne pouvons pas agir individuellement sur l'Amazonie mais les petits jardins dans les villes, les balcons... sont d'autant d'espaces qui peuvent être utilisés pour favoriser la biodiversité. Chaque métre carré de terre compte. Regardez sur mon balcon, il y a des fleurs sauvages. Ce muflier, là, je ne l'ai jamais planté, il est venu tout seul... Quand on laisse les herbes folles pousser, les insectes et les oiseaux suivent. Ici j'oberve des petits oiseaux, inattendus au coeur de Paris, des mésanges à tête bleue, des charbonniéres. Les citadins peuvent recréer des oasis de nature en pleine ville.
Aujourd'hui, où se trouve votre "jardin secret" ?
HR:Quand je suis à la campagne, dans notre maison, dans l'Yonne, je passe mon temps dans la forêt à observer les fleurs, la migration des oiseaux. L'autre jour, j'ai assisté à l'arrivée des loriots. Je guette celle des pervenches, des ficaires. J'aime aussi beaucoup me promener la nuit, écouter , sentir, observer les étoiles. Voir les arbres en ombres chinoises sur un ciel étoilé est un grand bonheur.
Qu'enseignez-vous à vos petits-enfants?
HR: J'aime les emmener à la campagne pour qu'ils découvrent la joie d'y être. J'en ai huit, de 21 ans à quelques mois. Chaque été, nous passons une semaine dans un gîte, tous ensemble. Mais je ne leur mets pas la pression avec ces questions de biodiversité. Ce serait le meilleur moyen de les dégoûter! Il faut qu'ils comprennent par l'exemple, en voyant leurs parents ou leurs grands-parents s'interesser à la nature et y prendre du plaisir.
<<Sans la nature, nous ne sommes rien.
Nous sommes une espéce parmi tant d'autres.
Face à l'apprauvissement de la biodiversité dont nous sommes responsables,
nous mériterions plus que toute autre le nom d'espéce nuisible...>>