Mon peuple n'a pas de loi
Mais il vit en harmonie avec les puissances de la nature
Vous ne voyez en nous que des bêtes
Vous ne comprenez pas nos priéres
Vous n'avez jamais cherché à les comprendre
Lorsque nous nous adressons à la lune au soleil ou aux vents
Vous prétendez que nous adorons le diable
Vous nous avez condamnés sans nous comprendre
Simplement parce que nos prières diffèrent des vôtres .
Walking Buffalo
Récemment encore, on pensait qu'il pouvait exister des peuples sans religion, que les peuples primitifs ne possédaient qu'une religion embryonnaire, et qu'une religion "évoluée"n'apparaissait qu'à un certain niveau d'humanité. Les recherches actuelles des anthropologues ont démenti cette théorie (Darwin).
Aucun groupe humain, aussi primitif soit-il, ne s'est jamais avéré être ignorant de toute loi, de toute régle de conduite, de tout systéme religieux.
De nombreuses tribus indiennes n'ont effectivement aucun mot pour traduire avec exactitude le concept de religion ; de nombreuses tribus, également, ne possédaient aucun terme pour se désigner elles-mêmes. Les Indiens s'appelaient en général entre eux simplement : < les hommes >.
Certains peuples ajoutaient parfois un adjectif descriptif , ainsi les Delawares se dénommaient : les Lenapes :" les hommes vrais", et les Hopis ( de Hopitu) :" le peuple pacifique".
Les noms que nous employons aujourd'hui ne sont souvent que des épithétes qui leur ont été données. Cheyenne est la déformation d'une expression méprisante qui signifie: "ils parlent une langue étrangére" , Sioux d'un mot chippewa que l'on peut traduire par : " petit serpent" , le nom Eskimo fut pour la 1er fois employé par un missionnaire qui les entendit appeler Eskimantsik : "ils mangent de la viande crue" ...
Les Indiens ne voyaient pas la nécessité de se nommer eux-mêmes , si ce n'est pour s'opposer à leurs voisins , et, par extension, au reste de l'humanité. Les mots abstraits n'existent que dans la mesure où ils ont un contraire.
De nombreuses langues indiennes ne disposent d'aucun terme précis pour traduire l'idée de religion parce qu'il n'existait rien chez eux que l'on pût vraiement qualifier de profane, parce qu'à la limite leur vie tout entière était un acte sacré. On avait autrefois des scrupules à parler de religion au sujet de certains groupes indiens et de peuples jugés très primitifs en général. On disait plutôt : croyance, ou superstition, ou magie...
Du point de vue des Européens, la notion de religion était indissociable de celle de l'adoration de divinités définies. Ils ne comprenaient pas que le phénoméne religieux est avant tout la conscience d'un " monde surnaturel " ( pas nécessairement régi par des êtres lointains et mystérieux) et un systéme de pratiques destinées à traiter avec ce monde.
Les Indiens n'ignoraient pas le sentiment religieux, ils en ignoraient les artifices. Leur conception du monde était aussi simple que l'univers dans lequel ils vivaient. Ils ne possédaient ni temple, ni objet de culte, ni théologie compliquée. La nature était leur temple, elle était respectée sous toutes ses formes, et son histoire ( les mythes ) servait de théologie. Ils habitaient un monde différent du nôtre. Ils n'envisageaient pas l'univers de la même maniére que nous. Leur monde n'était pas inanimé. Il vivait, il agissait. Une montagne n'était pas pour eux un simple amas de pierres et de roches qu'un plissement de terrain avait un jour formé et subissant une perpétuelle érosion. Un arbre n'était pas seulement une forme végétale issue de la germination d'une graine. L'Indien voyait derriére eux une présence, une force surnaturelle, qu'il définissait comme une "puissance" , un "pouvoir"; certains préférent parler d' "essence", d' "esprit" et même de "divinité". Mais ces appellations répondent à notre propre culture, et elles ne coïncident pas exactement avec l'idée indienne de pouvoir.
Elles sous-entendent une forme anthropomorphique qui n'existait pas toujours.
L'Indien n'envisageait pas le monde en terme si personnel ni si précis. Il disait simplement: " L'aigle tacheté posséde de grands pouvoirs " ou "Il y a une grande force sur cette colline". Il ne cherchait pas à analyser la chose , mais à s'en rapprocher, à communiquer avec ces puissances, à vivre en harmonie avec elles ; et son attitude était à la fois une prière et u effort de compréhension. Il se déplaçait sans jamais les irriter. Il essayait toujours , au contraire, de s'en concilier les faveurs. Son existence entière se déroulait en fonction de leurs vertus. Car les puissances étaient détentrices de tout ce qui était nécessaire à sa subsistance. Lorsqu'il arrachait une plante , c'est au pouvoir de la plante qu'il s'adresait. Aucune frontière ne séparait sa vie économique de sa vie religieuse. La première impliquait la seconde.
Pour lui, tout était puissance surnaturelle : le monde végétal, le monde animal, les lieux, les phénoménes atmosphériques, les objets inanimés... Certains pouvoirs étaient plus importants que d'autres; ils avaient tous des qualités, une fonction, des possibilités qui leur étaient propres; ils formaient un réseau de forces invisibles qui régissait l'univers.
L'être humain jouait avec eux un jeu dangeureux , exaltant et sacré. La tradition en stipulait les régles ( la mythologie) . Une erreur , une maladresse, un oubli pouvaient être mortels. Les Indiens ignoraient la notion du péché: ne pas respecter une régle n'inspirait pas de remords, mais de la peur. Le repentir était inutile : les puissances surnaturelles ne connaissaient pas le pardon, à la limite , admettaient -elles une compensation.
Il fallait à tout moment mesurer ses gestes, prendre garde à ne pas abuser des dons accordés par les puissances, savoir remercier avec humilité ( un proverbe indien dit
: l'homme qui a atteint la connaissance est toujours dans l'obscurité s'il n'est pas humble ) et au contraire, parfois, faire preuve de courage, aller au-devant des puissances, les braver, se montrer digne d'elles.
Les Indiens affirmaient que la vie est le jeu le plus noble.
Ils le pratiquaient de la même maniére que nous adressons une priére.
Il était pour eux la plus haute forme de religion.
Ils s'y adonnaient avec passion.
( extrait de Terre Sacrée)